Pour savoir comment se porte l’agriculture biologique en France nous sommes allés à la rencontre de Florent Guhl, directeur de l’Agence Bio. Nous avons rencontré un homme expert en la matière, animé par une vraie volonté de réussite sans précipitation !
Bonjour Florent Guhl, pourriez-vous nous parler de la norme Agriculture Biologique ?
Il s’agit plus d’un label que d’une norme. Le label AB créée en 1985 permet d’identifier clairement les produits issus de l’agriculture biologique. Depuis 2009, dans un but de simplification, le label AB a été harmonisé avec le label bio européen.
Et quel est le rôle de l’Agence Bio ?
Nous promouvons le label AB. Mais nous ne sommes pas les seuls, au sein de notre conseil d’administration on retrouve la Fédération Nationale pour l’Agriculture Biologique (FNAB), les Chambres d’agriculture, le Synabio ou encore Coop de France ainsi que nos ministères de tutelle, agriculture et écologie.
Pour revenir au rôle de l’Agence Bio, nous agissons à côté du consommateur. Notre rôle est plus dans l’éclairage du marché, la compréhension des motivations des consommateurs, etc.
Actuellement il y a un fort débat sur l’accompagnement des agriculteurs à passer en bio depuis les propos de M. Stéphane Travert de favoriser les aides à la conversion mais pas celles au maintien. Qu’en pensez-vous ?
Ce que l’on a bien compris, c’est que l’Etat fait le choix de se concentrer sur la conversion car c’est un enjeu économique national. Pour les aides au maintien, Stéphane Travert considère que l’aide financière d’une filière est un enjeu économique régional, et donc des conseils régionaux.
Sur le terrain nous constatons que l’agriculture bio n’est pas mûre pour se passer de subventions. Dire que c’est le marché qui doit tenir l’ensemble n’est pas une réponse car cela va pousser à augmenter de façon importante l’importation de produits bio.
Et ce n’est pas souhaitable…
Non ! On a pour l’instant une consommation de produits bio qui s’appuie majoritairement sur des produits français. Cependant nous avons démontré qu’il y a un fort risque de pénurie sur beaucoup de filières du fait de l’augmentation de la demande. Et cette augmentation va se poursuivre sur des tendances proches de ce que l’on voit depuis 1 ou 2 ans (+15 à 20% par année, ndla).
En somme, nous devons produire plus. Mais il y a aussi le facteur prix qui joue…
Nous sommes dans une compétition européenne. Si la norme est la même pour tous les producteurs européens, les coûts salariaux et sociaux ne sont pas les mêmes. Ainsi un produit respectant les mêmes normes sera à plus bas coût chez le voisin.
Cette question est très forte chez les céréaliers qui sont fortement soumis à la concurrence européenne : comment rester compétitif tant en volume qu’en prix ? C’est toute la difficulté actuelle.
Revenons aux producteurs. Quelles sont, selon vous, leurs motivations pour passer au bio ?
Plus que comprendre les motivations, je pense qu’il faut comprendre les moteurs et freins.
Les deux moteurs sont des questions économiques et des questions environnementales. Cependant à une période, il fallait choisir entre les deux : c’était le frein. Maintenant ces deux moteurs ne sont plus antinomiques : si vous travaillez en bio, vous aurez en moyenne une exploitation aussi rentable qu’avant en conventionnel.
La tendance va-t-elle vers un agriculteur mieux rémunéré en bio qu’en conventionnel ?
Il est très difficile de répondre à cette question car la comparaison ne peut se faire que produit par produit. Dans certains domaines comme le lait, c’est vrai… mais cela n’est pas automatique.
Mais en passant au bio on change aussi de forme de travail. En conventionnel les agriculteurs doivent produire de grands volume (avec les outils adéquats) pour être rentables. En revanche, en bio on a tendance à travailler sur des volumes de production plus faibles qui peuvent devenir rentables sans aller dans des excès de taille.
J’apporte toutefois une précision : la question de la taille n’est pas un problème en soi mais il peut être une source de difficulté pour l’agriculteur car cela impose des investissements importants (foncier et bâtiment) qui jouent sur la pérennité du salaire et, plus généralement, la capacité pour l’agriculteur à vivre de son métier.
Quittons ces préoccupations économiques pour arriver sur le terrain écologique. Produire bio c’est (notamment) respecter la Terre. Que pensez-vous de la tendance consommer local ?
La question de consommer local est un sujet très important. Pour l’Agence Bio il y a deux choses : le lien social et la diversité de distribution.
Il y a une forte demande des consommateurs et des producteurs pour recréer un lien de proximité géographique, une vraie volonté de savoir d’où viennent les produits. Par ailleurs les consommateurs ont, pour certains d’entre eux, une appétence pour les produits locaux (sans que l’on sache bien définir « local »). On a vu récemment une étude qui essayait d’argumenter ça autour de la question du développement socio-économique. Cette démarche, entreprise pour les produits manufacturés, s’est renforcée pour le bio avec la notion d’empreinte carbone. Que ce soit le transport ou le mode de production des aliments, le bio a vocation à limiter notre empreinte environnementale.
Le second élément c’est la diversité des circuits de distribution. Nous privilégions une multiplication des circuits de distribution : des circuits courts aux circuits plus longs. Le circuit-court est très bénéfique mais s’il est exclusif, nous arrivons vite au bout de l’exercice. Nous savons qu’il va y avoir une hausse des consommateurs en ville et que la production agricole bio est plus dans les territoires ruraux. Il faut donc un circuit plus long répondant aux mêmes qualités (voir plus exigeant sur notamment la traçabilité) que le circuit-court.
On essaie donc de travailler les deux axes : l’un n’est pas contradictoire de l’autre. Il y a beaucoup d’agriculteurs qui proposent une partie de leur vente en circuit-court et une partie de leur vente en magasin bio et puis une autre partie en grande distribution. On a souvent du mal à faire comprendre que les modèles de distributions ne sont pas opposés. C’est même plutôt sain pour un agriculteur ou un groupement d’agriculteurs de travailler avec ces différents débouchés. D’ailleurs les agriculteurs bio qui s’en sortent bien ce sont ceux qui ont su diversifier leurs clients car ils sont moins liés par leurs relations avec tel ou tel client. La liberté est très importante dans ce métier.
Elargissons. Quelle est votre vision de l’agriculture française ?
Pour moi, la vision s’axe autour de deux problématiques complémentaires majeures : la pyramide des âges et le foncier.
On sait que dans les 10 années qui viennent, la moitié des agriculteurs vont partir en retraite. Et on sait aussi que quand une exploitation agricole est sur le marché, il y a de moins en moins de repreneurs. De fait, soit cela amène à une augmentation de taille d’exploitations existantes quand le foncier reste dans l’agricole, soit le foncier bénéfice à l’urbanisation.
Ce phénomène d’exploitation toujours plus grande a un certain nombre de conséquences néfastes dont le fait d’empêcher l’arrivée de nouveaux acteurs, de nouveaux agriculteurs car l’accès à une exploitation agricole devient impossible. Le nœud est là.
On a du mal à motiver des jeunes d’entrer dans le monde agricole car souvent c’est financièrement difficile : la reprise d’une exploitation n’est pas simple car l’agriculteur se retrouve avec un endettement initial qui est très fort.
Pour revenir à votre question de ma vision de l’agriculture française de demain, ce serait de revenir vers une agriculture raisonnablement productive, pas trop spécialisée avec une vraie réflexion sur le gaspillage. On ne sait pas si on pourra nourrir le monde demain mais ce qui est sûr c’est, qu’en volume, on pourrait ; il faut donc lutter contre le gaspillage alimentaire et relocaliser les productions par rapport à la consommation.
La mondialisation a eu des effets bénéfiques pour toutes et tous mais un des défauts de la mondialisation a été d’avoir spécialisé des zones et donc appauvri des zones (comme l’élevage massif d’animaux en Amérique du Nord qui a un impact catastrophique sur l’environnement !).
Enfin, il est, à mon sens, important de respecter l’histoire : réimplantons des races dans des régions historiques où elles étaient implantées. Cherchons à retrouver un équilibre où l’environnement est capable de se défendre lui-même car il est cohérent !
Merci Florent Guhl pour ces riches échanges.
Découvrez toutes les actualités de l’Agence Bio sur www.agencebio.org
2 Commentaires
BIOVOR - De la rentabilité du bio, étude de l'INSEE 2013
23 janvier 2018 at 16 h 39 min[…] Il est important de préciser que ces chiffres datent de 2013, le secteur en très forte évolution à connu des mutation majeures. Ainsi le différentiel de rentabilité dans le secteur du vin n’est plus autant exact comme nous l’expliquait Florent Guhl en septembre dernier. […]
BIOVOR - Stop au Biobashing, Oui aux produits bio !
7 mai 2018 at 17 h 40 min[…] car le bio est un label. Le label AB. La réglementation prévoit un processus de certification qui va de deux à trois ans avant de […]