Interviews/ Producteurs

Interview de Eric Gobard – Moulin de Chantemerle

Notre rencontre de la semaine : le Moulin de Chantemerle situé à Aulnoy, dans le Pays de Coulommiers en Brie Laitière. Il nous fallait absolument partager avec vous l’histoire de cette exploitation agricole transmise de génération en génération.

A sa tête, Eric Gobard et sa femme, Anne, la meunière, qui proposent des céréales bio grâce à la production d’une farine fermière sur meule de pierres. La spécificité géologique de ce terroir d’exception permet de redécouvrir les goûts et les senteurs d’antan redonnant ainsi aux produits leurs lettres de noblesse. Précurseur dans l’agriculture biologique, ce couple de passionnés porte fièrement les valeurs d’un patrimoine culinaire artisanal. Pour la petite histoire, ils ont été reconnus Producteur Artisan de Qualité par le collège culinaire de France…

 

Pourriez-vous en quelques mots nous présenter le Moulin de Chantemerle ?

La ferme de Chantemerle est dans notre famille depuis 1881 ! Nous sommes une exploitation agricole menée en agriculture biologique. Nous disposons également d’un moulin avec des meules de pierres pour produire des farines biologiques fermières. Nous sommes situés à Aulnoy, dans le Pays de Coulommiers, en Brie Laitière. La région est principalement connue pour les fromages, (les bries de meaux et de melun, le coulommiers… ndla) ainsi que pour les céréales. Ce n’est pas pour rien qu’on nous appelle les greniers de la France !

 

Quelle est votre activité principale ?

Grâce à un climat pédoclimatique* favorable, on dispose d’un terroir riche qui nous permet de cultiver des céréales de grande qualité (Grand Epeautre, Seigle, Sarassin, Blé) et autres cultures (Lin, Haricots, Echalions, Fèveroles, Luzerne). Ici, vous êtes dans une ferme polyculturelle, c’est-à-dire qu’on mêle grande culture et agriculture. A l’époque de mes grands-parents, il y avait un troupeau de moutons et de vaches. Nous faisions également du lait pour la production de fromage de brie. Le dernier a été fait en 1961…

 

Et pourquoi avoir arrêté la production de fromage de brie ?

Ma grand-mère a dû arrêter la production car elle n’en vendait plus suffisamment sur les marchés. C’était le début de l’industrialisation de l’agroalimentaire, des usines et de la grande distribution. Les produits du terroir n’avaient plus la cote. Les paysans, eux, ne pouvaient plus suivre le rythme de production des industriels.

 

Sans oublier l’arrivée des normes avec notamment la Politique Agricole Commune (PAC)…

Tout à fait ! La PAC a imposé une restructuration massive des terres agricoles et une agriculture de masse. Il fallait absolument faire du volume…! La production de céréales secondaires a été supprimée : il fallait produire du blé et du mais à outrance. Conséquence : de 1955 à 1965, les produits du terroir ont disparu en même temps que les marchés traditionnels. Les gens n’allaient plus que dans les supermarchés… Evidemment, mon père n’a pas eu d’autres choix que de s’adapter à ce nouveau mode de production afin de conserver la ferme.

 

Et de votre côté, depuis combien de temps avez-vous repris la ferme ?

Ma femme et moi-même avons repris la ferme en 2002. A l’époque, on pressentait déjà le retour des produits du terroir, du bio, avec des cultures produites sans matières dangereuses (herbicides, fongicides…). C’est comme cela qu’on s’est lancé en agriculture biologique avec l’idée de proposer à nouveau des produits du terroir, sains et qui ont du goût. De son côté, ma femme souhaitait avoir son atelier de transformation pour faire de la farine. On a donc remis le moulin en marche et l’aventure a commencé…

 

Et la manière de travailler la terre lorsque qu’on est un producteur bio, cela ressemble à quoi ?

Notre production végétale repose sur le système de rotation, c’est-à-dire, la succession, d’une année sur l’autre, de la production sur les terres. Pour vous donner un exemple, on commence par deux années de luzerne, après on va faire du blé, du lin textile, puis refaire du blé, des haricots, de l’épeautre, des fèves, du seigle, et ainsi de suite…

 

Vous variez de telle façon à ce que la terre ne soit pas ponctionnée des mêmes éléments tout le temps…

Exactement ! Chaque plante va emprunter certains éléments du sol puis les restitue. Avec ce modèle, on a des écosystèmes qui se nourrissent entre eux, ce qui permet l’intervention minimale de l’homme. Avec ce système, on revient aux bases de l’agronomie !

 

Et la période de moisson c’est à quel moment ?

C’est en juillet-août ! C’est notre pique d’activité mais j’aime beaucoup cette période. En novembre, on plante les céréales. Le reste de l’hiver c’est relativement calme, on travaille un peu les sols. En mars-avril, on commence à biner nos céréales en retirant les mauvaises herbes à l’aide des machines. De son côté, ma femme Anne, la chef meunière, s’occupe du moulin toute l’année ce qui nous permet de proposer de la farine en permanence.

 

On a vraiment l’impression que vous êtes au rythme de la nature…

En bio, vous jouez uniquement avec les mécanismes naturels du sol. En adaptant notre production aux climats et aux sols, on s’évite l’utilisation de produits chimiques.

 

Vous vous êtes diversifiés en proposant depuis peu des biscuits…

Oui, c’est ma femme qui est aux commandes en s’occupant d’élaborer les recettes de nos biscuits artisanaux ! Prochain objectif : on va lancer des biscottes sans sucre. Pour le moment , on est en phase de tests.

 

Si vous le permettez, on va revenir un peu sur votre parcours…

C’est mon frère qui était plutôt destiné à reprendre la ferme. Sauf qu’avec la mondialisation, il ne croyait plus au monde agricole. De mon coté, j’ai obtenu un diplôme d’enseignement supérieur comptable et financier (DESCF) avec un troisième cycle en comptabilité anglo-saxonne : rien à voir avec l’agriculture ! J’ai travaillé pendant 10 ans à l’étranger, j’étais spécialisé dans la gestion de projet dans la filière céréalière. J’ai travaillé également à Bruxelles dans un groupe alimentaire, qui faisait de la farine, de la pâte à tarte…etc. C’est d’ailleurs en travaillant dans ce milieu que j’ai commencé à me dire que ce système-là allait s’effondrer à un moment ou un autre. A force de vouloir concentrer toute la production, cela n’allait plus être possible…

 

J’ai cru comprendre que vous étiez une ferme de référence nationale…

Tout à fait ! Et c’est une grande fierté pour nous ! Etre ferme de référence nationale cela veut dire concrètement que des spécialistes viennent régulièrement analyser nos parcelles afin de démontrer que l’agriculture bio est viable. On accueille également la recherche publique avec I’Institut d’écologie et des sciences de l’environnement de Paris (INRA), de l’Université Pierre-et-Marie-Curie.

 

Vous voyez donc passer beaucoup de monde à la ferme…

En effet ! Je vois notamment beaucoup d’agriculteurs qui souhaitent se convertir à l’agriculture bio mais qui n’arrivent pas à sauter le pas. Pourtant ils savent que le modèle agricole intensif arrive à sa fin, qu’on est en train de vivre une véritable révolution culturelle. Hors, la plupart d’entre eux ne sont pas encore prêts…

 

Pourtant il y a des aides à la conversion…

Oui, il y a des aides… Le problème c’est qu’avec le bio on a l’impression de jouer sans filet. Concrètement, si vous utilisez des produits chimiques, peu importe si le printemps est pluvieux, vos céréales seront protégées. En bio, cela n’est évidemment pas le cas ! Je crois que deux facteurs sont à prendre en compte dans le refus de passer au bio. Le premier est idéologique : encore un certain nombre d’agriculteurs se demandent pourquoi ils se priveraient de ce « progrès » que sont les intrants chimiques. Il y a aussi une question d’éthique : les agriculteurs nourrissent le monde. Pour ne vous donner qu’un seul chiffre : En France, 72% du blé est aujourd’hui exporté alors que 100% du blé bio français est consommé sur place via des circuits courts.

 

Et ne serait-ce pas plus facile d’adopter le bio pour la nouvelle génération…

Je pense que oui ! Ce qui est certain c’est que dans quelques années, la demande en bio va être beaucoup plus importante que l’offre et pour y faire face, on n’aura pas d’autre choix que de se convertir (même si je pense qu’en parallèle, on continuera quand même à aller se fournir à l’étranger…).

 

*Pédoclimat : Température et humidité d’un sol, d’un terroir.

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